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Programmes d'aide aux Communautés

Mission d’observation et de suivi de la situation humanitaire à Thulo Shyapru et Gatlang

29 Mai 2015, Katmandou, Népal

La route jusqu’à Shyapru Besi est toujours ouverte et j’en ai profité pour me rendre à Thulo Shyapru, où je n’avais pu aller lors de la précédente distribution.

Départ en jeep, avec Renjin et sa sœur, en jeep réservée car je ne veux pas être la victime d’un chauffeur qui conduit comme bon lui semble.

Les villages que nous traversons sont toujours en ruine, et les populations affectées, selon leurs statuts économiques, s’efforcent avec plus ou moins d’énergie et plus ou moins de moyens à déblayer, trier, ou démolir ce qui doit l’être.

Comme un boxeur mis KO lors de son dernier combat et qui revient sur le ring d’entraînement, prêt à repartir mais encore un peu sonné.

Le chauffeur, âgé de vingt ans, nous arrête à 9h pour déjeuner dans un resto de son choix, le plus cher de la route. Nous restons dans la jeep pendant qu’il déjeune et repartons 30mn plus tard. Il chouine et l’ambiance en prend un coup.

cest notre jeep

Notre jeep tout terrains ...

À peine 10mn plus loin, la crevaison traditionnelle, avec remplacement par une roue tout aussi traditionnelle et dont on voit la corde. ‘No problem’ me dit-il, c’est là que je lui pose la question sur son âge et comprends qu’il ne conduit que depuis au mieux 2 ans … Je lui rappelle les consignes de prudence, huncha huncha daï, mais le jeune Fangio reprend confiance en son pneu tissé large au fur et à mesure des passages hasardeux … Stress jusqu’à notre destination …

 

Sonam Sangbo et Sonam Singi nous attendent à Thulo Barkhu, d’où nous marchons jusqu’à Thulo Shyapru.

la fine equipe

Il nous faut 3 bonnes heures de marche sur un bon sentier en partie refait, en partie traversé de failles qui font craindre la mousson, en partie squatté par des rochers arrivés de plus haut, pour atteindre le village de Thulo Shyapru, par terre, pas de bonne surprise. Le village de Brabal est dans le même état.

 

Le village de Thulo Shyapru perché sur une crête où étaient construites une dizaine de Guest Houses entre magasins de télécom, de souvenirs et monastère, n’est plus qu’un amas de béton, verre et objets en tous genres. Plus les maisons sont hautes et plus les gravas sont impressionnants. Et les hôtels locaux atteignaient les 3 étages de béton pas assez armé …

ancien nouveau ts

Une compagnie de l’armée népalaise est toujours postée sur le haut de la colline et le nouveau village de tentes est dominé par un centre de santé provisoire installé par une ONG internationale.

La population a bien sur quitté le village et s’est éparpillée par groupes de 3-4 maisons-tentes sur toute la largeur de la vallée sous et autour du village, sur des parcelles de terres cultivées, à l’abri des glissements de terrain, et qui semblent avoir moins tremblé que la crête où était installé le village.

Malgré leur installation de fortune, certains ont pu récupérer vêtements et étagères, frigidaire et cuisinière, TV ou temple privé. Il n’y a pas encore d’électricité mais la population locale s’active à rétablir les poteaux et câbles électriques, perchés sur des échelles de fortune, sans équipement ni sécurité.

La nourriture est toujours l’inquiétude première de la population, qui craint la fermeture des routes d’accès. Contrairement à Gatlang, les terres cultivables sont très limitées, et les récoltes ici ne sont pas fantastiques. Le Chiraïto, felwort en français, devenu la principale production agricole, et qui représente un apport financier nécessaire, ne sera récolté qu’en Décembre, et nous enverrons dès mercredi prochain du riz et du sucre, selon la demande des locaux.

Les 2 groupes de mères du Thulo Shyapru, bénévoles et actifs avant le séisme pour la construction et l’entretien des chemins, la construction de chörtens, la collecte et la gestion des déchets du village, ne se sont pas réunis depuis 1 mois, enfin depuis le séisme … Éparpillées et sous le choc, elles n’ont pas trouvé la force et l’énergie nécessaire pour se rencontrer. Ma venue fut une occasion de les rencontrer, de leur expliquer qui je suis et ce que nous, avec votre aide à tous, désirons faire pour le village et enfin, ce fut l’occasion de les faire se réunir.

Elles seraient ravies de pouvoir faire quelque chose pour leur communauté et elles nous ont demandé de leur fournir du matériel d’urgence pour les plus démunis (tôles ondulées et tuyaux pour l’acheminement de l’eau potable, tentes de grande taille et outils).

J’ai remis à chacun des groupes, 2 lampes solaires – chargeurs de téléphone l’UNHCR (Haut Comité aux Réfugiés des Nations Unies), offertes par l’initiative de Bhushan Shilpakar et Nayantara Kakshapati, Himalayan Disaster Relief Volunteer Group, et qui seront utilisés en utilisation publique dans chacune des deux parties du village (partie basse et partie haute).

installation solaire

Installation de cahrge solaire et viande de yak à sécher

Pendant la réunion, un des sages du village me dit: ‘Christophe, c’est le résultat de la compétition. Nous vivions jadis dans des maisons traditionnelles et vivions de l’agriculture. Quand les premiers touristes sont arrivés, nous les avons reçus chez nous, en homestay, puis nous avons agrandi maisons pour les recevoir et leur faire des chambres séparées, puis nous avons construit en béton, puis nous avons ajouté des salles de bain privées … et tu vois où cela nous a mené. Ceux qui ont construit, un peu plus riches que les autres ont pris des crédits, et maintenant tout le monde est au même niveau. Tout le monde est pauvre !’

Et ce qui m’a marqué à Thulo Shyapru, c’est cette sensation d’une population plus atteinte moralement que celle de Gatlang. Ils tombent de plus haut, leurs habitudes de vie « plus confortables » que celles des Gatlangelis, sont mises à rude épreuve et le chemin qui les mène vers leur ancien standard de vie est bien raide et accidenté.

Nous convenons d’une distribution de riz et de sucre mercredi 3 Juin, mais ils me demandent deux choses:

  1. Inclure Brabal même si cela fait moins pour Thulo Shyapru,
  2. faire la distribution sur la piste en construction vers Thulo Shyapru, et non à Shyapru Besi, où ils ne aimeraient ne plus à avoir à aller pour recevoir l’aide. Ils ont honte …

Après une petite cérémonie de bénédiction, je quitte Sonam Singi et Sonam Sangbo qui m’avaient accompagné la veille depuis Thulo Barkhu et descends à Shyapru Besi avec Damaï Singi et Parangba, deux de nos guides locaux. Le chemin a été refait, c’est toujours aussi beau, les montagnes sont toujours là, les oiseaux aussi, les forêts de pins sentent toujours aussi fort, les mani korlo (moulins à prières actionnés par l’eau des ruisseaux) résonnent au son régulier de leur cloche et on se prend à rêver du Népal comme on le connaît et comme on l’aime …

Et d’ici, le glissement monstrueux qui menace Shyapru Besi, gris de poussière et visible dans le fond de la vallée, semble beaucoup plus petit qu’il y a 2 semaines … c’est presque rassurant quand on voit l’immensité de ce qu’il reste comme colline au-dessus.

Mais en arrivant dans le fond de vallée du Langtang, aux parois beaucoup plus raides, on prend à nouveau conscience de la violence du séisme, à l’ampleur des glissements de terrain qui ont tout emporté sur leur passage, aux poteaux électriques coupés et tordus, aux arbres déracinés ou décapités, aux rochers gros comme des maisons descendus de tout là haut … et quand on connaît le Népal, on sait comme cela peut-être haut …

ts mountains

Alors que je me pose la question « qu’est-ce que je ferais si ça tremblait ici et maintenant, où pourrais-je bien me cacher … » Parangba me montre un Tarchok (un drapeau de prière blanc et dressé sur un mat de bois) et me dit qu’il indique l’endroit où quelqu’un a trouvé la mort … Ah ben oui.

Nous rejoignons finalement Shyapru Besi où arrivent 5mn plus tard Rabin, Alex VELA GIRO (un espagnol du Barça, pfff !) et Yrène AYER (Vive la Suisse Libre!), nos deux architectes de « Architectes de l’Urgence », accompagnés de Fréderic Grimaud, un photographe que je ne connaissais pas et qui s’est joint à nous (je me suis dit que s’il pouvait aider à faire parler de Gatlang, ça ne pourrait être que positif) la veille de mon départ.

La piste est toujours coupée par le glissement de terrain qui domine Shyapru Besi et qui continue de déverser des rochers depuis maintenant 1 mois sur le Bazaar.

Les ouvriers chinois ont bien tenté d’y travailler pendant 15 jours mais certains habitants de Shyapru Besi (d’anciens habitants de Goljung) ont intenté un procès à la compagnie qui s’occupe de l’entretien de la route, l’accusant d’être responsable de la destruction de leurs maisons, l’empêchant ainsi de continuer les travaux. Il se chuchote qu’ils profitent de l’occasion pour faire passer les destructions du séisme sur le glissement de terrain.

Du coup les Communautés de Communes (VDC) de Gatlang, Goljung, Thambuchet et Chilime sont sans accès routier … Et nous voilà donc partis pour la grimpette qui nous sépare du camion resté bloqué au-dessus du glissement de terrain, coté Gatlang, et qui nous servira de bus à ciel ouvert …

La piste est toujours aussi chaotique, surtout à l’arrière d’un camion, et l’arrivée dans cette vallée de Gatlang, dominée de collines de plus de 4000 mètres, derrière lesquelles le soleil joue au peintre à travers les nuages, est toujours aussi magique !! Enfin la magie en prend un coup dès l’approche du village … Toujours en ruine … Mais la vie est partout, les enfants sont toujours aussi à croquer et morveux, et les sourires reviennent doucement.

Nous débarquons de notre « bus » et tombons sur les gens de Save the Children (ils se sont mis la pression en choisissant un tel nom quand même !), que nous saluons et avec qui nous décidons de nous voir le lendemain. Leur responsable locale, une jeune thaïlandaise de moins de 30 ans, est surprise de nous voir arriver en camion et nous demande si la route est ouverte. Nous apprendrons plus tard que tous leurs déplacements, d’un ou plusieurs sauveurs, se fait toujours en hélicoptère …

Quelques locaux s’affèrent à détruire le bâtiment des salles de classes, trop endommagé pour être réparé. Au moins ça bouge! Nous apprendrons plus tard que la mobilisation s’est faite sur la demande des « sauveurs d’enfants » et nous trouverons l’armée en train de finir le travail le lendemain.

Rabin et sa famille ont réarrangés leur cahutte, et heureusement car ils ne sont plus seuls sur leur parcelle de terre, mais accompagnés de 3 autres ‘maisons’, le reste de la famille. Ça sent déjà plus le réfugié qu’il y a 2 semaines quand ils étaient seuls sur ce bout de terrain de 150m carrés, avec un petit coté romantique. Fini la romance …

abri rabin

La maison de Rabin, pour combien de temps?

Après l’installation de nos tentes nous partons pour une première visite du village dévasté. Les gens s’affèrent toujours à séparer, trier, jeter ce qui doit l’être, mais on les sent plus tournés vers l’avenir qu’il y a quinze jours.

Les deux architectes sont sous le charme, malgré la tristesse du lieu. Très vite ils détectent des défauts de construction et de toiture mal fixées, responsables de la chute nombreuses maisons. Ils sont néanmoins impressionnés par la solidité d’une bonne partie des maisons, malgré les murs « flambés ».

Le lendemain nous invitons les responsables locaux des partis politiques, de la communauté religieuse, les ‘travailleurs sociaux’, ainsi que des femmes locales, afin d’échanger, de bien nous faire comprendre sur nos objectifs et surtout s’enquérir de leurs besoins les plus urgents.

Et surprise, les Gatlangelis nous annoncent avoir reçu assez de riz pour passer la mousson. Good news ! Leur principale inquiétude concernant leur situation actuelle est de passer la mousson au sec.

Et au contraire de Thulo Shyapru, ils ne veulent pas de tôles ondulées, qu’ils estiment trop chères et considèrent comme des ennemis de leur culture. Surprenants, ils ne veulent pas de ces bouts de métal qui finissent par rouiller, par laisser passer l’eau, et qui n’isolent pas du froid.

meeting gatlang

Meeting à Gatlang

Je leur fais remarquer que certains d’entre eux avaient déjà commencé à utiliser les tôles ondulées sous les toitures de bois, histoire d’assurer une meilleure étanchéité. Ils admettent du bout des lèvres, presque honteux, que deux-trois maisons en ont utilisé. Ils sont conscients que des tôles leur seraient utiles pour la mousson mais désirent tout de même explorer d’autres pistes …

Nous prenons conscience de leurs besoins:

  • Des semences et graines de radis, moutarde, épinards, chou.
  • Lieu ou matériel de stockage des récoltes (afin d’éviter qu’elles ne pourrissent).
  • La venue d’un géologue (qu’ils nous demandent eux-mêmes) afin de s’assurer de la faisabilité de la réinstallation de leur village au même endroit (un déplacement total du village serait beaucoup trop cher). Certains craignent que les terrains aient bougé, ce qui expliquerait que la partie basse du village a subi beaucoup plus de destruction que le haut.
  • Les conseils d’agriculteurs ou d’ingénieurs agronomes afin d’implanter de nouvelles variétés de fruits ou de légumes adaptés à la montagne, améliorant ainsi la diète et les finances. Ils nous font confiance et rêvent d’avoir des soutiens occidentaux.
  • Les conseils d’éleveurs afin d’améliorer la rentabilité laitière des vaches et yaks.

Là encore, j’espère (ils n’en rêvent même pas) que la solidarité entre les peuples, entre utilisateurs de la Terre et de ses ressources, dépassera les frontières et que vous nous aiderez à rendre Gatlang plus vivable qu’il l’était.

Les personnes présentent lors de cette réunion nous ont exprimé leur suspicion (pour ne dire que ça) envers les grosses ONG internationales du type ‘sauveurs d’enfants’, présents à Gatlang depuis plus de 15 jours et qui n’ont réussi à monter qu’un abri de fortune (pour ne dire que ça) pour occuper et divertir une quinzaine d’enfants de 5-6 ans.

Ce qui perturbe les locaux, c’est l’utilisation des hélicoptères par les sauveurs d’enfants pour se déplacer à/depuis Ktm. Ils connaissent le prix de ces déplacements et estiment que beaucoup d’argent dépensé en hélico aurait pu l’être autrement, pour la population … Ce qui n’est pas notre cas, nous sommes arrivés et repartons en camion, permettant ainsi à chaque coup à une dizaine de Gatlangelis de profiter du ‘bus gratuit’.

Je demande alors aux représentants de la population ce qui leur semblerait être la meilleure solution concernant la reconstruction, car nous n’aurons pas assez de fonds pour entreprendre la reconstruction de 350 maisons et il nous faudra donc choisir entre 2 solutions:

  1. Reconstruire le centre communautaire qui sert à toutes les réunions publiques et qu’ils dépeignent comme un point d’ancrage de leur culture et traditions:
  • Gyawa, fête de célébration de la fin du passage du Bardö, la période intermédiaire de 49 jours entre la mort et la nouvelle renaissance. Cette célébration est aussi un soutien pendant laquelle toute la population offre nourriture et alcool à la famille des défunts. Cet aspect est très important car il permet aux familles de mieux survivre à leurs morts.
  • Fêtes religieuses, qui ne manquent pas …
  • Réception d’invités de marque (lamas, politiciens, acteurs sociaux),
  • Réunion avant tout travail collectif (semences, récoltes, entretien des chemins, etc …)
  • Le bâtiment pourrait servir d’infirmerie d’urgence en attendant la reconstruction du centre de santé, complètement détruit.
  • Enfin, le bâtiment pourrait servir de lieu d’accueil pour les ???
  1. Reconstruire 5 maisons Tamangs antisismiques ‘prototype’, avec transfert de connaissance afin que les locaux soient formés pour reconstruire sans les architectes étrangers, dont nous ne pouvons pas prendre en charge les salaires durant un an, puis entreprendre la reconstruction progressive des maisons avec la mobilisation de la population et l’aide international.

Les locaux sont unanimes: Reconstruisons le Centre communautaire !

J’en étais cloué, et suis encore impressionné par leur capacité à prendre une telle décision.

Ils auraient rêvé habiter des maisons solides et sures, d’ailleurs même pas... Mais ils connaissent aussi leur population, peu ou pas éduquée, et au sein de laquelle il aurait été compliqué, voir impossible, de mettre un ordre de priorité pour la reconstruction des maisons. Ils craignent que la frénésie de l’accession à une maison ne monte les gens les uns contre les autres, et ne fasse plus de mal que de bien à leur société !

Je ne peux que m’incliner devant tant de sagesse et de clairvoyance même si c’est un rêve qui s’écroule doucement. Les architectes m’ont promis qu’ils nous remettraient une liste de conseils de construction, sur la base de leurs observations, simples pour les habitants de Gatlang et afin qu’ils reconstruisent des maisons plus sures.

Après, tout dépendra de nos efforts et de nos connections pour nous permettre de réunir l’argent nécessaire à la préservation de ce village. Ils ne rêvent pas, mais je compte sur notre engagement et notre solidarité montagnarde pour que ce petit bout de patrimoine de l’humanité redevienne un lieu de sourires et d’insouciance.

En tout cas, les responsables locaux sont conscients des difficultés et ils semblent prêts à travailler main dans la main afin que l’énergie de chacun se transforme en actions constructives. C’est déjà un premier grand pas.

Nous convenons donc d’une livraison des semences mercredi prochain, soit le 3 Juin, et peut-être aurons-nous alors trouvé soit des tentes en gros tissu soit une alternative soit …

Nous rentrons vers Shyapru Besi, puis KTM, trajets sans incidents notoires … Encore un Fangio de 20 ans comme chauffeur, encore un pneu lisse …

On espère que ce n’est pas le dernier trajet possible avant la venue des pluies.

Retour dans la capitale, quasi déserte, mais toujours puante et poussiéreuse.